Le calcul différentiel naît au XVIIème siècle, développé indépendamment par Newton vers 1671 (mais son traité ne sera publié qu’en 1736 !), et par Leibniz en 1684. Il se développe au siècle suivant, sous l’impulsion notamment des Bernoulli et de Euler : on modélise de nombreux phénomènes physiques ou géométriques sous la forme d’équations différentielles, et d’autre part on apprend à résoudre de plus en plus d’équations différentielles. Au XIXème siècle vient le temps des fondements théoriques : Cauchy pose pour la première fois la question de l’existence et de l’unicité des solutions d’une équation différentielle en général, et démontre la convergence du schéma d’approximation proposé par Euler ; Lipschitz extrait la condition qui porte son nom ; Picard montre la puissance de sa méthode itérative pour démontrer existence et unicité ; etc..

Pourtant certains problèmes résistent encore à la démarche modélisation-résolution, dont le célèbre problème des trois corps. L’un des succès les plus marquants de la théorie concerne la mécanique céleste. Au début du XVIIème siècle, en étudiant les observations de l’astronome Tycho-Brahé, Kepler avait découvert empiriquement les trois lois régissant le mouvement des planètes.  Le calcul différentiel permet de démontrer les lois de Kepler à partir de lois beaucoup plus fondamentales, la loi de la gravitation (la force de gravitation est inversement proportionnelle au carré de la distance) et la relation fondamentale de la dynamique (l’accélération, dérivée seconde de la position, est égale à la somme des forces). Mais les observations se font de plus en plus précises, et les lois de Kepler commencent à être mises en défaut : les trajectoires des planètes ne sont pas exactement elliptiques. C’est que la modélisation ne tient compte que de l’attraction du soleil, et néglige toutes les autres forces s’exerçant sur les planètes. Deux corps en mouvement dans l’espace décrivent des ellipses, mais quelles peuvent bien être les trajectoires décrites par trois corps s’attirant mutuellement ?

De Newton à Laplace, de nombreux savants échouent sur ce problème. L’équation différentielle  (ou plutôt le système d’équations différentielles) correspondante n’est pas plus difficile à écrire que dans le cas de deux corps, mais nul ne sait la résoudre. Poincaré finit par démontrer, en 1890, qu’elle n’admet pas d’intégrale première autres que celles déjà connues : il faut renoncer à décrire les solutions par des formules. Grâce à la théorie de Galois différentielle, on connait maintenant des équations très simples, comme l’équation d’Airy, qui s’écrit y''=xy, dont les solutions ne peuvent pas s’exprimer à l’aide des fonctions usuelles.

Prenant acte de cette impossibilité, Poincaré propose alors de changer de démarche, et

d’étudier les fonctions définies par des équations différentielles en elles-mêmes et sans chercher à les ramener à des fonctions plus simples.

Une telle étude, écrit-il dans son Mémoire sur les courbes définies par une équation différentielle, consiste d’abord en une

partie qualitative (pour ainsi dire), ou étude géométrique de la courbe définie par la fonction (…). Cette étude qualitative aura par elle-même un intérêt du premier ordre. Diverses questions fort importantes d’Analyse et de Mécanique
peuvent en effet s’y ramener. Prenons pour exemple le problème des trois corps : ne peut-on pas se demander si l’un des trois corps restera toujours dans une certaine région du ciel ou bien s’il pourra s’éloigner indéfiniment ; si la distance de deux des corps augmentera, ou diminuera à l’infini, ou bien si elle restera comprise entre certaines limites ?…

Ce changement radical, du quantitatif vers le qualitatif, marque la naissance des Systèmes Dynamiques en tant que branche des mathématiques.